leurs fournisseurs, le public, l'environnement, le social. Elles se sont transformées
fondamentalement et ont survécu sans problème. Mais toutes les entreprises qui n'avaient pas
changé de structure ont disparu. C'est tout. Il ne faut donc pas se tromper de management.
Cela peut coûter cher, très cher.
2.6. Du commerce au partage
Le commerce tel que nous le connaissons est une notion assez récente. C'est une transaction
où l'on procède à l'échange d'une marchandise contre de l'argent, point à la ligne. Une fois que
l'échange a eu lieu, la transaction est considérée comme terminée. Aucune suite n'est en
principe prévue, seulement une éventuelle transaction ultérieure. Cette perception du
commerce nous semble, elle aussi, éternelle : puisque nous n'avons connu qu'elle, elle fait
partie de notre vision du monde. Et pourtant... Au Moyen Âge, par exemple, le commercium
était une relation fort différente, beaucoup plus englobante et riche. Elle était principalement
fondée sur l'échange et le don12. Prenons un exemple. Un fermier avait besoin de semences,
son voisin en avait. Il lui en donnait en échange d’un objet ou d'argent... ou rien. Et le premier
acceptait alors de rester en dette d'honneur. Et, en cas de nécessité, il était entendu qu'il
rendrait service. Et qu'il ferait, en tout cas, un autre don quand l'occasion se présenterait. De
même, au marché de la ville, des denrées s'échangeaient contre de la monnaie, mais il y avait
aussi beaucoup d'échanges informels d'informations concernant les filles et les fils à marier,
l'actualité politique, le savoir faire agricole, etc. La notion de commercium englobait donc
beaucoup plus que les seules transactions d'argent. En réalité, ce n'est qu'à l'apparition de la
société industrielle que le concept de commerce s'est rétréci dans le sens que nous lui
connaissons. Et qu'a disparu, hélas!, la notion de dette réciproque, laquelle constituait
pourtant un ciment social extraordinaire.
Dans la société industrielle, le commerce est devenu uniquement monétaire. En clair, on
donne une marchandise en échange d’une somme d’argent. Et la sagesse populaire dit qu’il
est impossible « d’avoir le beurre et l’argent du beurre ». Or, dans la société de l'information,
si j'échange de l'information, je ne la perds pas. Et mon avantage n’est pas nécessairement
l’argent, mais le retour de l’information qui me revient enrichie de la créativité de l’autre qui
va me donner un éclairage nouveau que je ne connaissais pas. C’est la raison pour laquelle les
nouveaux entrepreneurs insistent tellement sur le partage de l’information en réseaux.
Il y a donc rupture radicale avec le fondement même du concept moderne du commerce, où je
ne peux, par définition, jamais « avoir le beurre et l'argent du beurre », mais seulement perdre
ce que j'échange. Nous basculons donc dans une logique de partage et d'échange. Nous
revenons vers une logique d'échange et de don comme au Moyen Age. Ce qui ne peut être
sans conséquence sur le rôle assumé par l'argent : il n'est plus tout à fait au centre de la
transaction, celle-ci peut aussi se dérouler sans argent. Voilà qui, à n'en pas douter, annonce
une redéfinition fondamentale du rôle de l'argent dans la société de demain. Certains systèmes
d’argent alternatifs comme www.favours.org sont construits sur la notion d’échange et de
don. Mais plus nous avançons dans la description de la société de la connaissance plus nous
allons voir qu’elle est construite sur l’échange et le don. C’est donc potentiellement une
société plus humaine. Toutefois, les notions du commerce capitaliste sont ancrées en nous à
une profondeur dont nous n'avons pas conscience. Donc, nous nous échinons encore et
12 Nous nous référons ici aux travaux du sociologue français Marcel MAUSS, qui a écrit d’importants ouvrages
sur l’économie du don et de l’échange. Ces travaux, nous allons le voir redeviennent aujourd’hui d’une actualité
exceptionnelle dans la société de la connaissance. Voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Mauss
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