toujours, au prix d'efforts énormes, à adapter l'échange de connaissances à « nos » normes
commerciales trop étroites comme le lit de Procuste.
Des centaines de chercheurs consacrent des milliers d'heures de travail à tenter d'insérer la
logique de la connaissance dans la logique moderne capitaliste. Leurs efforts peuvent-ils être
porteurs d'avenir ? C'est tout sauf évident ! Pourquoi, sinon, d'autres auraient-ils pris
conscience, dans le même temps, de l'existence d'une différence de logique ? Ainsi, pourquoi
certaines firmes de la Silicon Valley ont-elles désormais érigé en règle l'obligation de faire
circuler l'information, en clair de la partager ? Si un employé garde pour lui plus de 24 heures
une information importante, il est licencié ! Ces firmes ont compris que la valeur ajoutée de la
connaissance s'acquiert lorsqu'elle circule. Plus on partage l'information, plus elle s'enrichit.
Si, au contraire, l'information est tenue secrète, elle perd de sa valeur, la créativité du groupe
baissant à vue d'œil. Et pourtant, nous continuons à cultiver le secret.
L'exception qui confirme la règle, c'est paradoxalement dans le domaine de la Défense qu'on
le trouve : le Traité sur les Forces Conventionnelles en Europe est le premier à avoir été fondé
sur un partage de l'information. Chacune des parties a le droit d’envoyer des inspecteurs chez
l’adversaire et celui-ci est obligé de les accepter13. A ce titre, il a semblé faire basculer la
stratégie mondiale dans la logique transmoderne post-capitaliste. Prudence toutefois : le
Pentagone campe sur l'ancien modèle et cultive de nouveaux secrets technologiques dans la
perspective - moins hypothétique depuis l'élection de Georges W. Bush - d'une course aux
armements stratégiques dans l'espace.
Évidemment, nous vivons encore le temps de la transition entre les deux logiques, si bien que
l’argent semble de nos jours conserver une importance démesurée. Cependant, cette toute
nouvelle logique sous-jacente est en train de naître et se développe rapidement dans certains
secteurs. Sans tambours ni trompettes, elle prend le contrôle du pouvoir économique et
marginalise lentement mais sûrement la logique du commerce « industriel ». Mais nous ne
disposons pas de théorie sur cette "économie du partage". On voit que de nombreux partages
de connaissance ont lieu, mais il n'y a pas de théorie économique proprement dite qui indique
le chemin. On en est encore à des essais empiriques.
2.7. Et la compétition ?
C'est ici que l'on mesure encore mieux le changement. Si l'on est obligé de mettre son
personnel en réseau afin d'augmenter sa capacité de création de connaissance, il est évident
que la relation aux concurrents se modifie. On assiste donc à l'apparition d'une nouvelle
rhétorique qui cette fois n'est plus basée sur la rhétorique militaire du champ de bataille, où il
faut tuer l'autre pour s'emparer de ses parts de marché. On voit apparaître de plus en plus une
nouvelle logique moins violente, voire non-violente. Nous quittons les valeurs patriarcales.
Certains auteurs parlent de coopétition14 qui combine coopération et compétition. Nous
sommes en 1996. Mais des auteurs comme Elisabeth Sathouris dans un ouvrage récent qui
s'appelle "Earthdance"15 compare les entreprises aux organismes vivants. Et elle remarque que
ces organismes franchissent un énorme pas dans l'évolution quand ils passent de la
compétition à la collaboration. Dans un système vivant qui a acquis la maturité, chaque
partie, entité ou personne poursuit son intérêt personnel d'une manière qui ne compromet pas
13 http://www.obsarm.org/obsnuc/traites-et-conventions/francais/traite-fce.htm voir article XIV et suivants.
14 Adam M. BRANDENBURGER & Barry J. NALEBUFF: Co-Petition a revolutionary mindset that combines
competition and cooperation. 1996.
15 Elisabeth SATHOURIS: Earthdance 1999, 432 pages.
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