DYNAMIQUES DES ENTREPRISES AGROALIMENTAIRES DU LANGUEDOC-ROUSSILLON
LES SIGNES DE QUALITÉ : FREIN OU MOTEUR DE L'INNOVATION EN AGROALIMENTAIREr LE CAS DU LANGUEDOC-ROUSSILLON
B- La qualité liée au terroir et ses relations
à l’innovation
Le lien entre innovation et qualité est le plus souvent vu
comme une relation positive. Ainsi, en première
approche, l'entrée de l'entreprise dans une démarche de
signalisation de la qualité peut être considérée en soi
comme une innovation. Elle nécessite une remise à plat
des processus de production, et, le plus souvent, une
réorganisation. Sur la longue période, Touzard (2000) a
ainsi étudié la transformation de la viticulture
languedocienne d'une production de masse vers des vins
de qualité, transition appréhendée comme un processus
d'innovation réalisé en interaction avec les territoires.
Cette évolution a en effet engendré des mutations
techniques et organisationnelles importantes : nouveaux
cépages, nouvelles techniques culturales, nouveaux
procédés de vinification et d'embouteillages, mais aussi
recomposition des relations entre individus au sein même
des viticulteurs ou même des coopératives en place, avec
apparition de nouveaux réseaux, et également
intégrations verticales et horizontales dans les relations
inter-firmes. Allaire et Sylvander (1997) assimilent
également qualité et innovation, en considérant
l'amélioration de la qualité comme l'une des principales
directions prises par l'évolution des systèmes
d'innovation, en raison des nouvelles exigences de la
demande, mais également des nouvelles contraintes
générées par l'environnement socio-économique :
différenciation, prise en compte de l'environnement,
aménagement du territoire.
Si s'engager dans une démarche qualité peut être assimilé
à une innovation, cette innovation peut également en
générer d'autres en relation avec le développement des
ventes et la diversification des marchés. En effet, la
meilleure valorisation d'un signe de qualité, en particulier
dans les produits ayant un lien avec le terroir, se fait
généralement en dehors du marché local [Benkahla,
2003] et s'accompagne de nouvelles opportunités de
marchés exigeantes en adaptations du produit sans trahir
le cahier des charges. Par un processus d'apprentissage,
en particulier marketing, l'entreprise peut également
innover dans de nouveaux produits pour élargir la
gamme par des produits qui s'affranchissent des
contraintes du signe de qualité. Roux (1999, p. 29) relève
également que "le management de la qualité dans les
industries agroalimentaires (IM) se traduit par des
changements dans l'organisation de la production et
dans la répartition des compétences des salariés". Elle
note en outre que ces mutations organisationnelles
s'accompagnent souvent de !'informatisation de
l'entreprise.
Ainsi, de nombreux exemples attestent de l'existence
d'une relation positive entre innovation et signe de
qualité, notamment ceux liés au terroir, dans une sorte de
"cercle vertueux", la recherche de qualité et/ou l'entrée
dans une démarche qualité engendrant l'innovation qui
elle-même contribue à l'amélioration de la qualité. Mais
pour l'entreprise, la démarche qualité s'accompagne
également de la nécessité de respecter un certain nombre
de règles, et de standardiser certains éléments de son
processus ou de ses produits. Ces contraintes ne risquent-
elles pas de limiter l'innovation, en particulier dans le cas
de signes de qualité collectifs et liés au terroir ?
C- La qualité liée au terroir : un frein à
l’innovation ?
La qualité liée au terroir passe par l'adoption de signes
extrêmement réglementés. L'existence d'un cahier des
charges strict ne bloque-t-elle pas l'innovation ? Il est
difficile de faire évoluer le produit ou le processus de
production sans sortir du cahier des charges qui définit
par exemple une AOC1 dès Iors qu'il a été fixé. La
rédaction d'un cahier des charges de demande de
reconnaissance d'AOC doit en effet comprendre la
description précise du produit, mettant en avant ce qui
fonde sa spécificité, mais également ses liens au terroir,
ce qui inclut non seulement des facteurs naturels tels que
des conditions climatiques ou pédologiques particulières,
mais également les techniques et usages de production
spécifiques de la région considérée pour le produit en
question. Cest cette spécificité, inscrite dans l'histoire et
la tradition, qui justifie le lien au terroir, fondement de
!'Appellation d'Origine. Mais en codifiant, et donc en
standardisant le processus de production et le produit, n'y
a-t-il pas un risque, au niveau de chaque producteur, de
bloquer toute modification, toute évolution ultérieure,
autrement dit toute tentative d'innovation ?
Une première contradiction apparaît d'ores et déjà à
travers les travaux de Roux (1999). Dans son étude sur les
changements organisationnels et !'informatisation des
entreprises agroalimentaires, elle note que les entreprises
dites en "gestion traditionnelle", c'est-à-dire celles qui
sont peu engagées dans des mutations organisationnelles
ou managériales, et dans la mise en place de réseaux
informatiques, sont souvent des entreprises déjà
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