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Dans !’impossibilité de vous satisfaire complètement suivant les termes
stricts du programme, je vous envoie deux morceaux poétiques, qui
représentent à peu près la somme des rêveries dont je suis assailli aux
heures crépusculaires. Dans le fond des bois, enfermé sous ces voûtes
semblables à celles des sacristies et des cathédrales, je pense à nos
étonnantes villes, et la prodigieuse musique qui roule sur les sommets me
semble la traduction des lamentations humaines.297
Ici dans un état de rêverie, le poète compare les bois et la voûte céleste à l’intérieur de
constructions humaines que sont les sacristies et les cathédrales, se retrouvant de ce fait
transporté dans un espace urbain. Pareillement, les bruits perçus au sommet des collines
sont rapportés aux gémissements humains, plaintes sans nul doute exprimant l’ennui de
l’humanité. Au-delà de la recherche d’une maîtrise de la nature à travers son intégration
dans une création humaine, l’usage de bâtisses religieuses dans ce processus rappelle la
manière dont Baudelaire conçoit les discours chrétiens et ce qui les représente comme des
repères fixes, des normes permettant de dépasser cet absurde existentiel que signifie pour
lui la nature.
« Le Crépuscule du matin » et « Le Crépuscule du soir », deux des textes qui
accompagnent la commande de Desnoyers, révèlent de la même manière le processus
perceptif qu’adopte Baudelaire face à la nature : il s’agit d’une démarche d’intégration du
règne végétal et animal dans les manifestations humaines de l’homme des villes. Ainsi
dans l’un des textes, le poète remarque que pour les travailleurs, « C’est le Soir qui
soulage / Les Esprits que dévore une douleur sauvage », alors que « A travers les lueurs
que tourmente le vent / La Prostitution s’allume dans les rues ; / Comme une fourmilière
297 « A Fernand Desnoyers » 248.