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objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans
une boîte grillée, c’était un rat vivant ! »302 Suivant le même procédé, la poésie de
Baudelaire met en scène des figures de la pauvreté citadine de manière sublimée,
valorisée ou héroïsée. C’est le cas de l’hommage « A une mendiante rousse » dans lequel
le poète décrit la beauté d’une pauvrette dans ses haillons et sa maigreur :
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de tâches de rousseur,
A sa douceur.303
A la manière de Baudelaire, Pré vert adopte un mode de perception qui s’oppose à
la démarche traditionnelle d’appréhension du monde. Ainsi, définit-il la perception
poétique et l’activité artistique même comme une manière particulière, une certaine
habileté de concevoir le monde qui nous entoure. Dans une lettre à Pierre Seghers datée
du 20 juin 1974 et reproduite dans l’ouvrage de René Gilson sur Prévert, le poète
explique en effet : « La poésie est patience, guet, affût ; il arrive un jour, une heure, une
302 Charles Baudelaire, « Le Joujou du pauvre », Petits poèmes en prose 305.
303 Charles Baudelaire, « A une mendiante rousse », Les Fleurs du mal 83-84 ; v.1-8.