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minime ou si légère qu’elle soit. ».293 Persuadé de l’importance de cette source
d’inspiration inédite, Baudelaire prédit finalement l’avènement d’un nouveau type
d’artiste, celui qui tirera de la mode de l’époque un lyrisme d’une grande éloquence.
« Celui-là, affirme-t-il, sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle
son côté épique, et nous faire voir et comprendre [...] combien nous sommes grands et
poétiques dans nos cravates et nos bottes vernies. »294 Le poème « Les Petites vieilles »
illustre bien cette esthétisation du quotidien urbain et s’ancre totalement dans la vie
contemporaine du XIXe siècle. Hommage quasi-élégiaque aux femmes âgées, rejetées
ou ignorées dans la vie urbaine, ce texte prend clairement pour décor le siècle de
Baudelaire : les protagonistes errent dans les rues fourmillantes d’une capitale en
développement, elles tressaillent au bruit des omnibus qui passent et écoutent la musique
militaire jouée par des soldats dans Iesjardins publics.295
Même la thématique traditionnelle de la nature se voit traitée à travers le spectre
de l’urbain, ou plus généralement à travers l’expérience humaine, en priorité celui du
citadin. Ne croyant pas à l’existence d’une quelconque beauté du naturel, le caractérisant
«d’affreux» ou encore «de grossier, de terrestre et d’immonde»296, Baudelaire
recherche constamment à décrire les éléments naturels par rapport à ses sensations
d’homme des villes. Dans la lettre à son éditeur Fernand Desnoyers, il fait bien état de ce
processus d’« urbanisation » et d’« humanisation » du naturel dans ses textes :
293 Le Peintre de la vie moderne 694-695.
294 Salon de 1845 407.
295 Charles Baudelaire, « Les Petites vieilles », Les Fleurs du mal 89-91, v.26 ; v.10 ; v.52-56.
296 Le Peintre de la vie moderne 715 ; 716.