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elle ouvre ses issues ».298 A l’inverse au matin, souligne le poète, « C,[est] l’heure où
l’essaim des rêves malfaisants / Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ».299
L’intégration des deux poèmes dans la section « Tableaux parisiens » des Fleurs du mal
est d’ailleurs significative de ce désir de dépeindre les phénomènes naturels dans un
contexte civilisé, celui des rues de Paris.
Enfin, la conception lyrique inédite de Baudelaire, qui porte sur l’actualité, le
commun et le banal, va jusqu’à la poétisation d’éléments horrifiques ou répugnants.
Cette démarche de lyrisme de l’horreur entre dans le cadre du projet poétique de
Baudelaire « d’extraire la beauté du Mal ».300 Dans sa préface aux Fleurs du mal,
Gautier remarque en effet l’attirance de son ami pour des objets d’inspiration considérés
traditionnellement comme totalement inesthétiques, ainsi que son effort constant de les
transfigurer esthétiquement: «[...] l’horreur semble cherchée comme à plaisir; mais
qu’on ne s’y trompe pas, cette horreur est toujours transfigurée par le caractère et l’effet,
par un rayon à la Rembrandt, ou un trait de grandesse à la Vélasquez qui trahit la race
sous la difformité sordide. »301 En d’autres termes, le pouvoir de la vision transfigurante
est tel que cette perception permet de transcender ce qui est vu, même le plus vulgaire ou
dénigré, pour en puiser intérêt et plaisir esthétique. Ainsi dans « Le Joujou du pauvre »,
c’est un animal des villes considéré comme répugnant qui attire l’attention du poète, alors
que deux enfants s’extasient devant un «jouet» peu commun: «[...] l’enfant pauvre
montrait à l’enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un
298 Charles Baudelaire, « Le Crépuscule du soir », Les Fleurs du mal 94, v.7-8 ; v.14-16.
299 « Le Crépuscule du matin », v.3-4.
300 Charles Baudelaire, « Projet de préface [I] », Les Fleurs du mal 181.
301 21-22.