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minute où il fallait être là. Regarder et recevoir. »304 Une fois encore, cette conception
transfigurative cherche à dépasser les descriptions communes, évidentes et rationnelles
par l’usage du sensoriel, comme Régis Boyer l’explique au sujet de la perception
prévertienne : « [d]errière la réalité apparente, vit intensément le monde infiniment libre
et riche des correspondances, échos, appels, évocations, prolongements, vibrations dont
la surnature vaguement entrevue de nous donne son prix, sa profondeur, sa dimension
véritable au sol que nous foulons, à l’air que nous respirons. »305
Chez Prévert donc, cette dimension esthétique du monde passe aussi par l’usage
d’une transfiguration perceptive basée en particulier sur des correspondances et des
rapprochements inattendus entre les éléments du monde. Il s’agit d’organiser les choses
observées et les mots utilisés en laissant parler l’imagination : il faut « [d]émaginer, dira
le poète ! C’est-à-dire remplacer une image par une autre image. Subtiliser. »306 Le
poème « Page d’écriture » illustre bien ce processus de transfiguration par un jeu de
correspondance entre les choses qui nous entourent. Le texte met en scène un écolier qui
préfère rêver et imaginer ce qu’il voit plutôt que d’appréhender le monde en suivant la
raison et la connaissance scolaire, ici représentées par la leçon que donne le maître
d’école.307 Sa rêverie lui ouvre les portes d’une conception nouvelle de sa salle de classe,
qui se fait alors paysage côtier. Les éléments qui s’y trouvent forment cet espace naturel
en redevenant les matières brutes qui les composent :
304 René Gilson, Jacques Prévert. Des mots et merveilles (Paris : Pierre Belfond, 1990) 189-190.
305 Régis Boyer, « Mots et jeux de mots chez Prévert, Queneau, Boris Vian, Ionesco: Essai d'étude
méthodique », Studia Neophilologica: A Journal of Germanie and Romance Languages and Literature 40
(1968) : 357.
306 Prévert et Pozner 848.
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V. 40-45.