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incapable de m’attendrir sur les végétaux, et que mon âme est rebelle à
cette singulière religion nouvelle qui aura toujours, ce me semble, pour
tout être spirituel, je ne sais quoi de shocking. Je ne croirai jamais que
l’âme des Dieux habite dans les plantes et, quand même elle y habiterait je
m’en soucierais médiocrement et considérerais la mienne comme d’un
bien plus haut prix que celle des légumes sanctifiés.285
Cherchant à dépasser les règles créatrices littéraires et lyriques, Baudelaire se
présente donc comme un novateur, voire un blasphémateur de l’art poétique. Pichois
décrit en effet la violence des transgressions esthétiques dont témoigne l’œuvre
baudelairienne : « ce sont des agressions meurtrières perpétuées dans les formes les plus
conventionnelles, les plus puérilement honnêtes. Baudelaire n’a pas injurié la Beauté, il
l’a blasphémée », conclut-il.286 L’inédit de l’esthétique baudelairienne, qui deviendra
plus tard une des marques de l’attitude moderne, réside dans le dévoilement des aspects
poétiques du présent. Baudelaire définit en effet l’art comme la recherche du beau à
partir du temporel, c’est-à-dire de ce que l’artiste a sous les yeux, relatif aux
circonstances actuelles et à son époque. Dans une phrase désormais célèbre, il statue en
effet : « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont
l’autre moitié est l’étemel et l’immuable ».287
La poétique baudelairienne se marginalise donc d’abord par l’usage d’un lexique
et d’une thématique inspirés du temps présent et du quotidien. Dans Les Fleurs du mal
285 Charles Baudelaire, «A Fernand Desnoyers», fin 1853-début 1854, Correspondance, ed. Claude
Pichois, vol. 1 (Paris : Gallimard, 1973) 248.
286 préface xvi.
287 Le Peintre de la vie moderne 685.