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souvenir alors qu’il tue 1’« Alouette du souvenir »386 en serrant son poing lorsque celle-ci
est dans sa paume pour «manger [...] / les graines de l’oubli».387 A l’opposé de
Gasiglia-Laster et Laster, j’affirme que l’état nostalgique est néanmoins toujours chéri
par Prévert dans le sens où, même s’il rappelle des douleurs, il s’ancre pleinement dans la
vie et l’action humaine. Pré vert insiste d’ailleurs fréquemment sur la nécessité d’accepter
la vie telle qu’elle est, avec ses souffrances et ces déceptions.388 De plus dans « Sang et
plumes », le poète garde un certain contrôle de ses sentiments, choisissant d’oublier
plutôt que de se laisser perturber par ses souvenirs. Victorieux face aux sensations
passées désagréables, il interpelle l’oiseau en l’achevant pour lui faire remarquer : « c’est
ton sang qui coule / et non pas le mieux ».389
Enfin, l’état onirique est aussi chez Prévert une condition idéale pour ouvrir aux
sens et à une perception transfigurante du monde. Dans le poème « La Corrida », qui
raconte le rêve d’un homme endormi dans un train de retour d’un spectacle de
tauromachie, l’état onirique provoque une vision métaphorique composée d’associations
d’idées improbables entre différents éléments connus de Г aficionado. Cette perception
onirique se construit à partir de détails de la vie privée du rêveur, d’informations
insignifiantes sur ce qui l’entoure — la matière qui compose sa valise ou les sons du train
—, d’une connaissance du mythe de Minos et Pasiphaé et d’un événement survenu à la
corrida — la Reine a accordé la grâce au taureau. A partir de cela, le voyageur rêve que
la nuit après le spectacle, la Reine et le taureau se retrouvent pour une nuit d’amour.
386 Jacques Prévert, « Sang et plumes », Spectacle 351, v.l.
387 v.9-10.
388 A ce sujet, voir le « Pater noster » dans Paroles.
389 v.2-3.