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tous ceux d’entre nous qui le chérissent dans leur mémoire. Chacun est en effet à même
de dépasser la réalité de cette perte pour s’imaginer encore profiter du parc et en ressentir
une fois de plus le plaisir qui y est associé. Le travail de remémoration offre aussi
l’immortalité aux gens aimés. Ainsi, le texte « Aujourd’hui » relate une journée que le
poète s’imagine passer, comme avant, avec Robert Desnos, ami décédé pendant la guerre
— et voix majeure du surréalisme. Prévert apprécie chaque minute et chaque activité
anodine partagée avec son ami disparu ; il raconte :
oui je me suis promené avec lui
et on riait
et on s’engueulait
on n’était pas toujours d’accord
même s’il est mort.380
Dans le même ordre d’idée, la réminiscence a ce pouvoir unique de faire revivre
une sensation passée. Un poème très parlant à cet égard, « Le Miroir brisé », met en
scène une vision transfigurante du réel, ici le retour d’un être aimé, grâce à un éclair de
réminiscence. Dans ce texte, le poète affirme rester constamment en contact avec son
passé, et en particulier avec son enfance, à l’aide de la vivacité de l’état nostalgique,
incarnés ici par la présence dans sa tête d’un « petit homme de Iajeunesse ».381 Le poète
raconte alors qu’un jour, ce personnage casse son lacet de chaussure, ce qui fait
mystérieusement s’effondrer tout ce qui l’entoure. C’est ainsi que le miroir se brise :
cette rupture représente la désintégration de la pensée rationnelle pour permettre un flash
380 Jacques Prévert, « Aujourd’hui », 1956, Œuvres complètes, ed. Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud
Laster, vol. 2 (Paris : Gallimard, 1992) 450, v.6-10.
381 Jacques Prévert, « Le Miroir brisé », Paroles 116, v.3.