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dire improductive esthétiquement. Autrement et comme le prouve l’extrait de « Soleil »
que je viens de citer, cette activité est pour lui une formidable mise en condition créatrice
en ouvrant les sens à l’inspiration. Dans son essai sur Baudelaire, Benjamin relève de
même le rapport étroit entre flânerie et transfiguration poétique baudelairienne au sujet de
la ville. Il affirme alors que « [w]ith Baudelaire, [...] the allegorist’s gaze which falls
upon the city [...] is the gaze of the flâneur ».373
La vision esthétique qu’adopte Prévert, tout comme sa conception de l’activité
poétique elle-même, se base aussi sur l’irrationnel et l’imagination puisque pour lui « [l]a
poésie, c’est ce qu’on rêve, ce qu’on imagine, ce qu’on désire [...] ».374 Un poème
comme « Chanson des escargots qui vont à l’enterrement » illustre la place et le pouvoir
qu’attribue le poète à l’imagination dans sa perception métaphorique du monde qui
l’entoure ; il laisse ici cette faculté le guider pour s’engager dans une leçon de Carpe
Diem en décrivant la manière dont la faune et la flore vivent le cycle des saisons. Dans
ce texte, deux escargots sont sur le chemin pour aller à l’enterrement d’une feuille morte,
celle-ci représentant évidemment l’automne présent et l’hiver à venir. Les saisons
passent cependant et les deux mollusques, de par leur lenteur, n’arrivent au lieu dit qu’au
printemps, lorsque les feuilles « sont toutes ressuscitées ».375 La nature ayant repris vie,
les deux invités sont encouragés par le soleil à profiter de l’instant estival ; l’astre solaire,
372 Foucault, « What is Enlightenment ? » 569.
373 1 70.
374 Pré vert et Pozner 913.
375 Jacques Prévert, « Chanson des escargots qui vont à l’enterrement », Paroles 51, v.10.