137
issue de la tradition créatrice négro-africaine : « il faut revenir à la source première, il
faut revenir à notre culture propre, il faut chercher en nous-mêmes les possibilités de la
création et non pas dans les modèles français », statue Césaire.401
D’un autre côté, le poète rejette un certain type de souvenir, celui qui rappelle au
peuple noir son expérience d’esclave. D’une part, il relève en effet le danger d’une
stigmatisation de l’infériorité noire que véhiculent les anciens discours : « on avait fourré
dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; [...] et
d’être un bon nègre, de croire honnêtement à son indignité ».402 D’autre part, il remarque
que, dans le souvenir de l’individu colonisé, tout n’est que violence et désolation :
Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont les lagunes.
Elles sont couvertes de têtes de morts. Elles ne sont pas couvertes de
nénuphars.
Dans ma mémoire sont des lagunes. Sur leurs rives ne sont pas étendues
des pagnes de femmes.
Ma mémoire est entourée de sang ! Ma mémoire a sa ceinture de
cadavres !403
Dans ce contexte la réminiscence est un état problématique, ouvrant l’esprit à plus de
souffrances que de sensations positives. Par conséquent, si Césaire préconise le rappel
d’une démarche de perception ancestrale, il demande de faire la paix avec l’histoire liée à
l’esclavage et à la domination du blanc. Ainsi l’espère-t-il dans « An neuf » par le vers
400 Cahier 73.
401 Cité par Jacqueline Leiner, Aimé Césaire, le terreau primordial, vol.2 (Tübingen : Narr, 2003) 33.
402 Cahier 74-75
403 Cahier 59.