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résoudre les problèmes métaphysiques et sociaux de l’humanité. Toute activité poétique
porte déjà en elle une propension disruptive envers les normes perceptives et littéraire. A
propos des textes de Césaire par exemple, Breton souligne bien le caractère critique de la
poésie dans une définition qui convient parfaitement à l’œuvre des trois auteurs :
La poésie digne de ce nom s’évalue à son degré d’abstention, de refus
qu’elle suppose et ce côté négateur de sa nature exige d’être tenu pour
constitutif : elle répugne à laisser passer tout ce qui peut être déjà vu,
entendu, convenu, à se servir de ce qui a servi, si ce n’est en le détournant
de son usage préalable.410
Cette idée de détournement est en effet essentielle chez Baudelaire, Prévert et Césaire qui
jouent, à divers degrés, avec les normes littéraires, lyriques et linguistiques. Plus
particulièrement, les techniques de création et de perception qu’adoptent les trois poètes
renforcent le rejet de la logique dominante. Comme le relève Bataille au sujet de la
méthode poétique prévertienne, réflexion de même pertinente pour la démarche créatrice
des deux autres poètes : « l’élément poétique est donné par des rapprochements, des
trouvailles imprévues, qui excluent le calcul et la fabrication. »411 En d’autres termes, la
démarche de création et de perception de Baudelaire, Prévert et Césaire, retournant à une
vision esthétique et imaginaire désormais négligée, défie les principes de base du
discours capitaliste, comme la réflexion logique et la construction normée. Par
conséquent, les effets de la perception transfigurante semblent profonds et radicaux :
offrant une nouvelle manière d’appréhender le monde, cette vision serait à même de
questionner les structures mentales et le modèle de pensée dominants en Occident pour, à
410 Breton, « Un grand poète noir » 547.
411
« De TAge de pierre à Jacques Prévert » 206.