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quelques bâtons de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour
mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu.430
Ici, la richesse de l’objet dépeint est à la fois esthétique, lyrique et sacrée. Le champ
lexical construit autour des termes « lumière » et « dieu » fait du poème une célébration à
la gloire des hommes du cirque dont les dons les propulsent au rang de figures divines. Il
est important de rappeler que ce discours est un sacré déchristianisé : c’est une scène
banale qui est sacralisée tandis que l’humain est au cœur de cette vision et de ce
« royaume ».
Outre de revaloriser l’existence humaine et le monde alentour, la perception
transfigurante permet aussi de reconstruire un sentiment d’équilibre et d’unité face au
monde, sentiment salutaire à l’humanité et favorable au dépassement de l’angoisse
existentielle. Pour Baudelaire, le sens esthétique se constitue en effet comme un outil
d’harmonisation puisque pour lui, le Beau poétique est « un corollaire de la vive
perception [...] de la justice, de la proportion ».431 Cassou-Yager remarque elle aussi que
« les forces synthétisantes et harmonisantes » de la perception poétique baudelairienne
s’opposent à la peur humaine de «la désagrégation et [...] la fragmentation », comme
celles qu’engendre la mort.432 « La Chambre double » illustre ainsi la vertu de la vision
poétique qui, plus que de changer le taudis en un espace voluptueux, en fait un lieu
intemporel ; désormais dans la chambre, « c’est !’Eternité qui règne, une éternité de
délices ! », s’enthousiasme le poète.433 Dans « Le Cygne », c’est l’observation des
430 Charles Baudelaire, « Le Vieux saltimbanque », Petits poèmes en prose 296.
431 Notes nouvelles sur Edgar Poe 331.
432 9.
433 281.