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La mission du poète consiste précisément à dépister l’étemelle beauté à
travers ses innombrables incarnations, aussi inattendues et surprenantes
qu’elles puissent être. Paradoxalement, les objets difformes et monstrueux
seront particulièrement dignes de l’attention du poète, car c’est en tirant la
beauté du mal que ce nouveau rédempteur remportera la suprême victoire
sur les forces du désordre et de la destruction.443
Le poète illustre parfaitement ce procédé dans son texte « Les Petites vieilles », poème
dans lequel il demande à son lecteur d’aimer ces Vieillardes errant dans les rues, «Des
êtres singuliers, décrépits et charmants ».444 Sous l’œil attendri du poète, ces « Monstres
brisés, bossus / Ou tordu »445 qui se trament ou se désarticulent pour marcher ont
cependant quelque chose de sacré dans le regard, une vitalité et un charme mystérieux.
Ainsi remarque-t-il : « Tout cassés / Qu’ils sont, ils ont des yeux perçants comme une
vrille, /[...]/ Ils ont les yeux divins de la petite fille / Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui
reluit. »446 La description des vieilles femmes, réconciliant l’horreur et la valeur
mystérieuse de ces êtres, incarne le désir du poète d’ordonner et d’harmoniser le monde.
Chez Prévert, c’est de même d’abord une démarche de revalorisation de
l’existence et des éléments réels que permet la perception transfigurante. René Gilson
remarque bien cette qualité de la vision poétique exprimée dans les œuvres de Prévert :
443 IlO.
444 v.4.
445 v.6-7.
446 v. 16-20.