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par un parallèle implicite avec l’affirmation baudelairienne au sujet du pouvoir
esthétisant des Fleurs du mal, Gilson conclut que Prévert est un « Ouvrier des mots.
Alchimiste des mots. Il transforme le vil plomb des mots usés et abusés en or. »447 Bien
qu’uniquement centré sur l’usage de la langue, cette remarque souligne bien la capacité
exceptionnelle que possède la vision prévertienne transfigurante concernant le
dévoilement de l’intérêt particulier et inédit des éléments perçus. Le lyrisme de l’horreur
et la sublimation de la misère rendent bien compte de ce travail de revalorisation du
quotidien et de redécouverte d’une joie existentielle, alors que Gasiglia-Laster remarque
que, dans la poésie prévertienne, « [l]a noblesse trouve un autre sens, elle n’est plus
héréditaire, et on la retrouve en particulier au plus bas de l’échelle sociale ».448
Le poème « La rue de Buci maintenant... », par exemple, met en valeur la beauté
d’une rue populaire de Paris, illustrant ainsi comment tout un chacun peut tirer une
certaine appréciation d’un environnement autrement démuni. Alors que cette rue est
probablement connue pour sa saleté et sa vulgarité, le poète en souligne la gaieté et
l’esthétique. La voix poétique se désole que la guerre ait ravagé la vivacité de cette
artère, soulignant la valeur des habitudes et des activités de la foule qui peuplait naguère
ce lieu :
Les gosses du quartier ne sortent plus de chez le boulanger souriants en
[mangeant la pesée
Au Cours des Halles les sanguines les petits soleils de Valence
Ne roulent plus dans les balances
447 209.
448 Danièle Gasiglia-Laster, introduction, Œuvres complètes, par Jacques Prévert, vol. 1 xvii.