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Pour le poète, le mot « nègre » contient toutes les plaintes acérées de son peuple, ainsi
que les souffrances de son mode de vie, à la fois criminel, révolté et soumis.
Breton relève lui aussi le pouvoir d’esthétisation de cette transfiguration de
l’horreur lorsqu’il décrit la démarche césairienne «[...] qui consiste, à partir de
matériaux les plus déconsidérés, parmi lesquels il faut compter les laideurs et les
servitudes mêmes, à produire on sait bien que ce n’est plus l’or la pierre philosophale
mais bien la liberté ».457 Ici encore apparaît une référence implicite au fameux vers de
Baudelaire : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or »458, vers dans lequel le poète
se targue d’avoir sublimé avec succès le paysage fangeux et malsain de Paris.
Cependant, Breton insiste sur le fait que la démarche césairienne dépasse de loin
l’optique principalement esthétique et personnelle de Baudelaire pour viser, à terme, une
certaine libération psychologique et physique du peuple négro-africain. Comme l’illustre
le passage de «Mot » en effet, il ne s’agit plus seulement chez Césaire de revaloriser
l’existence mais aussi de redonner valeur et intérêt à l’expérience noire.
La transfiguration esthétique, qui ouvre sur la redécouverte de la valeur du monde
et de l’homme, s’accompagne aussi chez Césaire de l’harmonisation des éléments
cosmiques, et par conséquent d’un apaisement existentiel. Dans le Cahier, par exemple,
Ie poète veut reprendre contact avec une conception plus sensorielle et imaginaire des
choses, prophétisant ainsi la naissance de rapports entre toutes choses jusqu’à constituer
une unité totalisante, une sorte de synthèse cosmique : « Je retrouverais le secret des
grandes communications et des grandes combustions », déclare-t-il.459 En atteignant
457 « Un Grand poète noir » 548.
458 « Projet d’un épilogue pour l’édition de 1861 [II] » v.34.