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mais indispensable, d’une appréhension du monde par le Beau ; il déclare : « [c]ette idée
grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de
son devoir, [...] dégagé la volonté de tous les liens qui lui imposait l’amour du beau [...].
Cette infatuation est le diagnostic d’une décadence déjà trop visible. »471 Le poète
remarque bien que, malheureusement, la perception esthétique des choses est désormais
considérée comme inférieure par l’homme moderne qui, par son obsession pour le
progrès industriel et le profit capitaliste, ne jure que par les valeurs matérielles et le
calcul.472 Dans Notes nouvelles sur Edgar Poe, Baudelaire contraste en effet une
conception occidentale du monde, démarche aliénante et étriquée d’après lui, à cette
perception sensorielle et poétique, ici représentée par la démarche du « primitif », c’est-à-
dire de l’homme dit non civilisé qui ne partage pas la vision occidentale. Il défend alors
bien évidemment la seconde approche :
Mais si l’on veut comparer l’homme moderne, l’homme civilisé, avec
l’homme sauvage, ou plutôt une nation dite civilisée avec une nation dite
sauvage, c’est-à-dire privée de toutes ingénieuses inventions qui
dispensent l’individu d’héroïsme, qui ne voit que tout l’honneur est pour le
sauvage ? [...] L’homme civilisé invente la philosophie du progrès pour
se consoler de son abdication et de sa déchéance ; cependant que l’homme
sauvage, [...] poète aux heures mélancoliques où le soleil déclinant invite
à chanter le passé et les ancêtres, rase de plus près la lisière de l’idéal.
[...] Ses vêtements, ses parures, ses armes, son calumet témoignent d’une
faculté inventive qui nous a depuis longtemps désertés. Comparons-nous
471 Exposition universelle de 1855 580.
472 Exposition universelle de 1855 580.