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nos yeux paresseux et nos oreilles assourdies à ces yeux qui percent la
brume, à ces oreilles qui entendraient l’herbe qui pousse ?473
Dans ce contexte, il semble naturel que les œuvres poétiques baudelairiennes, de
par leur préférence pour une appréhension poétique du monde, s’insurgent contre
l’activité productrice et la pensée rationnelle contemporaines. Baudelaire croit d’ailleurs
en un contact entre le poète et son époque à travers les textes de l’artiste : «je préfère le
poète qui se met en communication permanente avec les hommes de son temps, et
échange avec eux des pensées et des sentiments traduits dans un noble langage
suffisamment correct. »474 Plus précisément, Baudelaire attribue une qualité morale et
utilitaire au texte littéraire, déclarant qu’à partir des textes ïambes et Lazare de Auguste
Barbier, « l’art [est] désormais inséparable de la morale et de l’utilité. »475 Cependant, il
pose aussi une claire séparation entre art, société et utilité, soutenant l’idée que
[l]a poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son
âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-
même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand,
si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été
écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème.476
En particulier, Baudelaire souligne que « [l]a poésie ne peut pas, sous peine de mort ou
de défaillance, s’assimiler à la science ou à la morale ».477 Il est par conséquent difficile
473 325-326.
474 « Pierre Dupont [I] » 27.
475 « Pierre Dupont [I] » 27.
476 Notes nouvelles à Edgar Poe 333.
477 Notes nouvelles à Edgar Poe 333.