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Les techniques de création utilisées par Baudelaire témoignent de même d’une
remise en cause, voire d’une opposition, à la démarche de pensée dominante. La manière
de considérer les expressions linguistiques, par exemple, dévoile chez le poète un profond
désir de se détacher de toutes normes en rejetant les fixations linguistiques dans
lesquelles le signifiant, comme le signifié, se trouve vide d’originalité et de mouvement.
Déjà peu enclin à l’usage des clichés dans ses textes, la haine du poète pour les pouvoirs
de l’armée le conduit à insister sur l’absence d’expressions militaires dans sa poésie.
Baudelaire exprime son dégoût pour ce type de phrase en reliant le conventionnalisme de
ces expressions avec celui des soldats, remarquant : « Toutes ces glorieuses phraséologies
s’appliquent généralement à des cuistres et à des fainéants d’estaminet. »486 Certes, le
jugement de Baudelaire est probablement la conséquence de ses rapports conflictuels
avec son beau-père, le général Aupick. Ainsi, l’enthousiasme de Baudelaire pour la
révolution de 1848487 est surtout l’expression de sa haine envers son beau-père. Comme
le fait remarquer Pichois, le poète aurait précisé que la défense de la République n’était
pas la raison de son engagement révolutionnaire, tandis qu’après le pillage d’une
armurerie, il s’était même écrié : « Il faut fusiller le général Aupick ! »488 II me semble
néanmoins que le rejet de l’instance militaire se présente aussi ici comme l’expression
d’un certain mécontentement et opposition à l’égard du système social contemporain. Il
ne faut en effet pas négliger l’importance des penchants politiques et des violences subies
par le poète lors des manifestations révolutionnaires, deux éléments qui justifieraient
486 Mon cœur mis à nu 690-691.
487 « Mon ivresse en 1848. / De quelle nature était cette ivresse ? / Goût de la vengeance. Plaisir naturel de
la démolition. » (Mon cœur mis à nu 679).
488 Cité par Pichois, notices 1492.