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grandement sa réaction négative envers les forces militaires. Ainsi Baudelaire raconte-t-
il son expérience à la prise de pouvoir de Napoléon III : « Ma fureur au coup d’état.
Combien j’ai essuyé de coups de fusil. Encore un Bonaparte ! Quelle honte ! »489
Suivant la même dynamique, l’héroïsation du quotidien et la poétisation du laid et
du misérable, en défendant des jugements de valeur et de beauté marginaux, sont
intrinsèquement contradictoires avec le mode de pensée et d’appréhension dominant.
Au-delà d’un bouleversement des règles lyriques classiques, cette transgression des
normes de valeur et d’esthétique remet en cause le discours idéologique et l’ordre social
en place. Dans le cadre d’une discussion sociale, ce processus, en soulignant les qualités
et l’intérêt des classes démunies, détruit la véracité d’un système de valeur traditionnel.
La subversion va même parfois jusqu’à inverser explicitement les règles sociales de la
bienséance, du bon goût et du précieux. Ainsi dans « A une Mendiante rousse », le poète
renverse les diktats de grâce et de pureté pour faire de la pauvrette non seulement un
modèle d’élégance mais aussi une figure plus digne qu’un personnage de rang royal ; il
affirme :
Tu portes plus galamment
Qu’une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.490
L’humilité et le dénuement de la mendiante deviennent ici une richesse dépassant, pour
ne pas dire ridiculisant, les bijoux et les artifices féminins les plus précieux :
Va donc, sans autre ornement,
489 Mon cœur mis à nu 679.
490 v.9-12.