168
que j’ai trouvé de mieux à faire. »496 Malgré les réticences du poète à se situer face au
discours dominant, ses poèmes témoignent bien d’un élan critique envers le mode de
pensée actuel, élan qui conduit à la formation d’un système épistémologique qui en est
contraire. Raymond Queneau décrit d’ailleurs les travaux de son ami comme
représentant non seulement un « cassage de la syntaxe, de sa désarticulation »,497 c’est-à-
dire un questionnement envers la tradition linguistique et littéraire, mais aussi un
«cassage de la ‘pensée’, de sa désarticulation»498, ce qui touche à une dissidence
discursive. La transfiguration esthétique est donc bien, chez Prévert, un moyen de
remettre en cause un modèle de vie qui ne semblent pouvoir répondre au mal-être humain
et social.
La subversion rencontrée chez Prévert s’illustre à la fois dans sa conception même
de la perception transfigurante et dans les méthodes de création qu’il privilégie dans ses
textes pour la mettre en scène. Tout d’abord, la vision du monde faite à travers le spectre
d’états irrationnels comme l’imagination constitue chez Prévert une vérité autre qui
s’oppose aux notions et aux valeurs institutionnalisées. D’une part l’activité poétique, et
plus généralement la perception poétique, est bien du domaine du réel et n’est pas une
divagation de l’esprit. Prévert défend en effet le concret de la perception des poètes dans
une lettre à Pierre Seghers : « On nous racontera que nous avons vu des mirages, déclare-
t-il, mais nous savons bien que nous nous trouvions au cœur même du réel, les pieds
496 Cité par Claude Mossé, « Entretien avec Jacques Prévert », Continent sans visa, Réalisateur Claude
Goréta, TSR, Suisse, 29 octobre 1961, 23 mars 2009, http://mediaplayer.archives.tsr.ch/personnalite-
prevert∕2.wmv.
497 Raymond Queneau, «Jacques Prévert. Le bon génie», 1951, Bâtons, chiffres et lettres (Paris:
Gallimard, 1965) 227.
498 228.