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parfaitement sur terre ».499 D’autre part, cette vision est bien du domaine de la vérité :
« [l]a poésie, c’est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie », dira le poète
dans Hebdromadaires.500 Prévert statue par exemple que la vision merveilleuse du
monde que permet l’état onirique possède une valeur de vérité incontestable. Dans un
texte préfaçant un livre pour enfants, il relève en effet un manque de délimitation entre ce
qui arrive et ce qui pourrait arriver501 et constate qu’il y a des « rêves éveillés »502, c’est-
à-dire des états oniriques qui se rapportent à l’existence même. Le poète prend l’exemple
de la perception enfantine qu’il admire et décrit la réaction d’un enfant face à une bête
merveilleuse : « Si invraisemblable qu’elle paraisse, [l’enfant] la compare et la préfère à
un tas de véritables gens, et réussit à croire que c’est arrivé, que c’est vrai comme un rêve
vrai. »503 Dans le même ordre d’idée, Gasiglia-Laster insiste sur la singularité de cette
connaissance qui se présente dans toute vision poétique du monde d’après Prévert, au
point qu’« [i]l n’y a [...] pas de Vérité parce que chacun a sa vérité ».504 C’est donc bien
ici une nouvelle épistémè qui voit le jour, construite à partir d’une perception imaginaire
et sensorielle du monde.
Le refus de la logique et de la pensée dominantes se retrouve dans le mode de
création que privilégie Prévert, méthode qui se dresse contre les valeurs du discours
contemporain dominant. L’activité poétique prévertienne véhicule par exemple une
499 Cité par Gilson 190.
500 Pré vert et Pozner 913.
501 Jacques Prévert, « Un livre pour enfants », 1980, Œuvres complètes, ed. Danièle Gasiglia-Laster et
Arnaud Laster (Paris : Gallimard, 1992) 472.
502 « Un livre pour enfants » 473.
503 « Un livre pour enfants » 473.
504 introduction xxxiii.