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certaine remise en cause des expressions. Celles-ci représentent, d’après le poète, un
discours sclérosé, erroné, vide ou rétrograde. Prévert remarque à ce propos dans
Hebdromadaires'. «Naturellement, quand on dit: ‘Oh, mon Dieu !’ en se cassant la
gueule dans l’escalier, ça ne veut pas dire qu’on implore le Seigneur, la Trinité ou
n’importe quel Dieu. Mais ça prouve que le vocabulaire devrait être un peu lessivé de
toute cette chose [...]. »505 Dans cette optique, la poésie prévertienne, plutôt que de
bannir les clichés comme le propose Baudelaire, utilise ces formes de manière critique,
dans le but de remettre en question les conceptions et les attitudes stéréotypées qu’elles
véhiculent. Gasiglia-Laster et Laster expliquent :
Dans le vœu modeste qu’il émet de voir le vocabulaire ‘un peu lessivé’, on
ne peut s’empêcher de reconnaître la poursuite, par d’autres moyens,
d’une œuvre de salubrité publique que le poète et le dialoguiste de cinéma
n’ont pas cessé de mener. On ne s’étonnera donc pas de voir déboucher ce
refus obstiné et conjoint des idées reçues et des expressions toutes faites
sur une apologie du langage créé par le peuple, sur une contestation de la
supériorité de la pensée savante sur la pensée sauvage et, contre le mépris
de la langue vulgaire et le privilège accordé aux textes critiques ou
théoriques, une défense de la littérature vivante506
Tantôt, le poète exprime explicitement son désir de dénoncer les perceptions
toutes faites du monde en pointant du doigt la description limitée et souvent erronée que
comportent les expressions. Ainsi dans le texte « Dans ma maison », la voix poétique
s’insurge contre l’expression « gai comme un pinson » parce que cette forme définit
505 Prévert et Pozner 900.
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vol. 2 1428.