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fond populaire et c’est pourquoi il se penche avec tout son amour sur les humbles. »594
Dans son récit autobiographique « Enfance », Prévert évoque lui-même un lien quasi-
intrinsèque entre la démarche d’esthétisation du monde et un mode de vie défavorisé. Se
rappelant des rues qu’il traversait lors de ses promenades dans Paris avec son père, il
souligne la nécessité pour les plus démunis de créer une certaine beauté dans le quotidien
et constate :
c’était toujours les rues des plus pauvres quartiers qui avaient les plus jolis
noms : la rue de la Chine, la rue du Chat-qui-Pêche, la rue aux Ours, la rue
du Soleil, la rue du Roi-Doré, sans oublier la rue de Nantes et la rue des
Fillettes, et tant d’autres autres. C’était sûrement les pauvres qui les
avaient trouvés, ces noms, pour embellir les choses.595
Dans son texte sur le poète, Bataille souligne cette même dynamique : la
perception transfigurante se fait plus facilement chez le démuni puisque celui-ci, privés
de l’accès à des aspirations socialement plus valorisées par manque d’argent et
d’éducation, ne peut que glaner une quelconque plaisir de vivre et un bonheur fugitif dans
les éléments à sa disposition, ici par la transfiguration perceptive du quotidien, du naturel
et du concret. En d’autres termes nous dit Bataille, « les prolétaires entreprennent la
libération de l’homme à partir de la chose (à laquelle les avait réduits un monde dont les
valeurs leur étaient inaccessibles). Ils ne l’engagent pas dans des voies ambitieuses, ils
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