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leur permettent pas de vivre décemment et qui « crèvent d’ennui ».603 Il s’agit par
exemple des gens sans instruction, sans culture et sans manière, « ceux qui ne savent pas
ce qu’il faut dire » ou « ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier » ; des
pauvres, « ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire / ceux qui l’hiver se
chauffent dans les églises », ou bien encore des travailleurs exploités comme « ceux
qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente, qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on
fouille, qu’on assomme ».604 Les autres, les « Ceux qui » avec une majuscule, restent
trop aveuglés par des valeurs matérielles pour être capables de la voir la vie autrement
qu’à partir de règles rationnelles et utilitaires.
Enfin, Césaire reconnaît de même que le poète n’est pas le seul à pouvoir faire
l’expérience d’une perception transfigurante. Dans cette optique, il s’insurge contre un
discours élitiste — qu’incarne en quelque sorte Baudelaire — à propos des créations
artistiques et rêve d’une humanité qui acceptera comme tels les élans poétiques et
esthétiques produits par tous, peu importe le statut social et intellectuel, ou bien le bagage
culturel du créateur. Ainsi se demande-t-il : « Oui ou non, découvrirons-nous le secret
d’une société où le sens de la beauté ne sera pas le monopole de quelques artistes coupés
du peuple mais où, du plus riche au plus pauvre, du plus doué au moins instruit, la poésie
selon le mot de Lautréamont, sera faite pour tous, non par un ? »605 Cette perspective
rappelle la conception traditionnelle négro-africaine attribuant à tout homme la capacité
603 1 2.
604 ɪɪ
605 « Discours des prix de 1945, Pensionnat colonial » 574.