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de percevoir le monde esthétiquement. Par exemple dans la culture africaine, dit
Senghor, « [le terme de] poème [peut s’attribuer à] toute œuvre d’art : il est fait par tous
et pour tous » ; d’autre part, « à côté des professionnels [des activités artistiques], il y a le
peuple, la foule anonyme qui chante, danse, sculpte et peint ».606
Césaire reconnaît lui-même les pouvoirs perceptifs et artistiques du peuple de
tradition africaine dans son poème « Chevelure ». A travers l’usage implicite de la
métaphore baudelairienne de l’albatros, il y compare le baobab, représentant le peuple
noir, à un « géant imbécile »607, terme faisant référence à la figure du poète dans le texte
de Baudelaire. D’un côté, le baobab symbolise sans conteste la population de tradition
négro-africaine puisque cet arbre est typiquement africain et l’emblème du Sénégal ;
Césaire l’adopte ici comme sien en déclarant: «le baobab est notre arbre».608 D’un
autre côté, le géant maladroit sur terre représente, dans la poétique baudelairienne, le
poète avec ses qualités voyantes et son inadaptation au monde contemporain rationnel.609
En remarquant à propos du baobab : « on le dirait un géant imbécile »610, Césaire
transfère par conséquent la capacité de perception transfigurante de l’abatros-poète au
peuple noir. La présente interprétation du texte césairien est d’autant plus pertinente que
le titre même du poème, « Chevelure », rappelle un poème baudelairien du même nom,
texte qui illustre le pouvoir perceptif extraordinaire du poète.
606 « L’Esthétique négro-africaine » 207.
607 2 32.
608 232.
609 Baudelaire, « L’Albatros » v.16.
610 « Chevelure » 232.