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parées de toutes les vertus, parce qu’elles crèvent de faim. »598 Dans son article dédié à
Prévert, Bataille relève de même cette dynamique, soulignant le lien entre statut social
inférieur et possibilité d’une perception esthétique du quotidien. Il explique que suivre le
mode de pensée et de vie en place exclut de facto le contact immanent et imaginaire avec
les choses puisque la vision poétique a pour effet de « coupe[r] en nous le désir de réduire
aux mesures de la raison » et d’« empêche[r] de répondre aux raisons qui commandent
les affaires ».599 Ainsi faisant, la démarche esthétique ne peut concerner ceux pour qui le
rationnel représente une valeur de vie primordiale, comme les hommes d’affaires qui
pensent et agissent selon un calcul et un raisonnement logique afin d’assurer leur position
sociale.600 Au sujet de la lecture d’œuvres poétiques, par exemple, Bataille oppose le
plaisir engendré par le respect des règles du canon littéraire et l’émotion esthétique pure ;
il conclut : « Je ne puis être en même temps amateur de belles-lettres et subir le
dépassement de la poésie. »601
A la fin de « Tentative de description d’un dîner de tête », Prévert identifie ces
petites gens qui constituent, de par leur marginalisation sociale, ceux qui sont les plus
aptes à atteindre la transfiguration esthétique. Les « ceux qui » — avec une minuscule —
comme il les appelle, sont les démunis, les exploités, les faibles et les oubliés de la
société pour qui le soleil ne brille pas602, c’est-à-dire pour qui les conditions de vie ne
598 Bernard Landry, « Prévert et Carné font deux », Le Cinéma de Jacques Prévert, ed. Bernard Chardère
(Bordeaux : Le Castor Astral, 2001) 354.
599 « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 196.
600 Bataille, « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 196.
601 « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 196.
602 1 1.