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seulement au fait que des sociétés entières ont voulu prendre aujourd’hui leur distance
par rapport au sacré. Nous vivons dans une société désacralisée. ».699 Au «je me révolte
donc nous sommes », cette perte de repères divins amène le révolté camusien à ajouter
« et nous sommes seuls ».700
Si cette description convient bien à la réaction de Prévert et de Césaire, elle est
cependant problématique lorsqu’il s’agit de considérer la démarche de Baudelaire.
Certes, celui-ci s’indigne des conditions de vie des classes les plus démunies et développe
un certain rapport fraternel avec son «hypocrite lecteur»70*, tous deux partageant une
destinée inexorablement misérable. Néanmoins, la nature plutôt individuelle et
majoritairement blasphématoire de la réaction subversive baudelairienne conduit à penser
que celle-ci n’entre pas complètement dans le cadre d’une révolte au sens camusien. En
d’autres termes, l’attitude qu’adopte Baudelaire ne peut incarner pleinement un
mouvement révolté dans le sens où elle ne se fonde pas entièrement sur le désir collectif
et le détachement envers le divin explicateur. La démarche du poète s’identifie en fait à
ce que Camus appelle une « négation absolue »702, c’est-à-dire l’expression d’une éthique
individuelle basée sur l’opposition des principes de la morale chrétienne. Une réaction de
ce type se targue de rejeter le discours religieux en vantant les valeurs qui s’y opposent,
c’est-à-dire maléfiques, comme le meurtre ou le suicide703 — Camus décrit d’ailleurs
699 3 5.
700 1 32.
701 « Au Lecteur », v. 40.
702 54.
703 68.