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Qu’est-ce que la liberté ?40
Ce sentiment de liberté infinie, qui n’existe pas pour le croyant s’en remettant à la
volonté divine, est bien insupportable pour Baudelaire puisque « [...] cela veut dire qu’il
ne peut trouver en lui ni hors de lui aucun recours contre sa liberté ».41 La conscience du
caractère injustifié de la vie et de l’absence de repères existentiels est en effet source
permanente de mal-être chez le poète. Dans son texte « Le Gouffre » par exemple, il
exprime son tourment face au sentiment lancinant d’une condition humaine absurde : « Je
ne vois qu’infini par toutes les fenêtres, / Et mon esprit, toujours du vertige hanté /
Jalouse du néant !’insensibilité ».42 Le sonnet se conclut par un appel de détresse devant
l’absurdité et le hasard qui régnent dans l’existence : «— Ah ! ne jamais sortir des
Nombres et des Etres ! »43 Pris au piège dans un monde désormais chaotique, dans le
« pullulement de la matière » dit Cassou-Yager44, le poète exprime ici son désespoir de
ne pouvoir donner sens à l’existence ni ordre à sa vie. L’humanité maintenant seule est
incapable de lutter contre l’absurde sur terre, et ce même par l’usage de ce qu’elle
maîtrise le mieux : le pouvoir d’agir, de vouloir, de rêver et de communiquer. Ici, ces
qualités sont en effet vaines puisqu’« Hélas ! tout est abîme, — action, désir, rêve, /
Parole ! »45 Baudelaire exprime aussi sa désolation face à la disparition irréversible de
repères dans son poème « L’Irrémédiable ». La première strophe du texte pose
40 Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, 1864, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 1 (Paris :
Gallimard, 1975) 681.
41 Sartre, Baudelaire 46.
42 Charles Baudelaire, «Le Gouffre », Les Fleurs du mal, 1857, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois,
vol. 1 (Paris : Gallimard, 1975) 142, v.11-13.
43 v.14.
44 96.
45 « Le Gouffre », v.2-3.