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omniprésent dans la société contemporaine. Lorsque l’écrivain considère ses escapades
dans l’immoralité, il en exprime en effet souvent des remords et de la honte, trahissant
ainsi un profond désir de se conformer à l’ordre social et religieux. Dans une pensée
intime, le poète désespéré de son salut chrétien menacé promet de mener désormais une
existence exemplaire, plus saine, plus sainte et plus morale :
Je me jure à moi-même de prendre désormais les règles suivantes pour
règles étemelles de ma vie :
Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute
justice, à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs ; les prier de
me communiquer la force nécessaire pour accomplir tous mes devoirs, et
d’octroyer à ma mère une vie assez longue pour jouir de ma
transformation ; travailler toute la journée, ou du moins tant que mes
forces me le permettent ; me fier à Dieu, c’est-à-dire à la Justice même,
pour la réussite de mes projets ; [...] obéir aux principes de la plus stricte
sobriété, dont le premier est la suppression de tous les excitants, quels
qu’ils soient.53
Il semble cependant indubitable que ces retours aux normes religieuses, tout
comme le désir de faire le mal d’ailleurs, ne reflètent pas tant de la part de Baudelaire une
adhésion aveugle à ces doctrines qu’une tentative désespérée de répondre à l’angoisse
d’une liberté et d’une gratuité existentielle qui le rongent — ce qui prouve bien que son
attitude est, en ce sens, pré-moderne. Blanchot explique cette démarche de pensée à
partir de la réflexion sartrienne sur l’existence, arguant que « Baudelaire espère se
53 Charles Baudelaire, Hygiène, 1862, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 1 (Paris : Gallimard,
1975) 673.