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Г aimais trop ! voilà pourquoi / Je lui dis : Sors de cette vie ! »66 La perte de contrôle de
soi qu’engendre l’amour emprisonne l’individu dans une dépendance malsaine d’après le
poète. Le meurtrier du texte explique alors que le soir du crime, il tentait une
réconciliation avec sa femme « Au nom des serments de tendresse, / Dont rien ne peut
nous délier ».67
Même dans des poèmes sur les pouvoirs positifs de l’amour, cet épanouissement
est irréalisé et irréalisable dans le monde tel que le vit le poète. Dans « L’Invitation au
voyage », par exemple, la voix poétique exprime son désir d’aimer librement sa
compagne et réciproquement ; il semble cependant que ceci ne peut se faire dans ce
monde-ci. Le poète invite en effet sa maîtresse à le suivre dans un autre espace où ils
pourront « Aimer à loisir »68, cet ailleurs étant débarrassé de toute angoisse, incertitude et
instabilité : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté »69, insiste le
poète à plusieurs reprises. Finalement, Baudelaire semble dénigrer les qualités du
sentiment amoureux, sentiment inapte selon lui à un quelconque bienfait dans l’existence.
Ainsi dans « Semper eadem », il tourne en ridicule l’étourdissement et l’insouciance de
vivre que provoque l’amour. Au côté d’une maîtresse à 1’« âme toujours ravie », le poète
tente de « laisse[r] [s]on cœur s’enivrer d’un mensonge », celui de l’oubli de l’angoisse
existentielle grâce au bonheur de l’amour.70 Cependant, il affirme dès le début du sonnet
que cette démarche est un leurre en reconnaissant que de toute façon, « Vivre est un mal
66 v.27-28.
67 v.17-18.
68 Charles Baudelaire, « L’Invitation au voyage », Les Fleurs du mal 53, v.4.
69v. 13-14 ; v.27-28 ; v.41-42.
70 Charles Baudelaire, « Semper eadem », Les Fleurs du mal 41, v.9 ; v.12.