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rocher en essayant de le bouger, image qui symbolise combien il est inutile de chercher à
comprendre et plus encore à contrôler le cours de l’existence.
De plus, les textes de Prévert illustrent bien les discours métaphysiques et
eschatologiques du XXe siècle, discours totalement dépourvus de considérations
religieuses au profit d’une réflexion humaine sur le fonctionnement et les mystères de
l’existence et du monde. Dans sa prière blasphématoire « Pater Noster » par exemple, le
poète rejette l’idée d’un divin créateur et dirigeant le monde : il congédie l’intervention
divine pour une expérience dans le monde même, scandant : « Notre père qui êtes aux
cieux / Restez-y / Et nous nous resterons sur la terre ».75 Dans le texte « Sa
Représentation d’adieu », qui met en scène Dieu comme un écrivain et comédien de
théâtre, le poète tue même le personnage divin qu’il qualifie de « très trop vieux
acteur ».76 Ainsi, au moment où celui-ci est supposé entrer en scène, le régisseur du
spectacle, « vêtu d’un très sévère costume de Nietzsche assez usagé mais fort bien
coupé » apparaît et déclare : « DIEU EST MORT ! / Déplorable accident... La séance est
terminée... »77 Par cette référence nietzschéenne, Prévert reprend à son compte la pensée
du philosophe concernant la fin des références chrétiennes dans la connaissance du
monde et enterre, une fois pour toutes, l’idée d’une force divine jouant un quelconque
rôle, que ce soit en tant que directeur ou acteur, dans !’existence humaine. Curieusement
ici, aucun spectateur ne semble étonné de cette « vieille et fâcheuse nouvelle »78, comme
75 v.1-3.
76 Jacques Prévert, « Sa Représentation d’adieu », Spectacle, 1951, Œuvres complètes, ed. Danièle
Gasiglia-Laster et Arnaud Laster (Paris : Gallimard, 1992) 235, v.23.
77 v.110 ; v.112-113.
78 v.114.