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[...] » à cause de l’imprévu que compose l’existence, et de la mort qui guette et qui met
fin à ce bonheur illusoire et temporaire.71 L’impossibilité pour Baudelaire de considérer
le sentiment comme une source potentielle de bien-être prouve une fois encore que sa
réflexion, dominée par l’angoisse d’une perte de contrôle et par la peur du néant, se
distingue du discours pleinement moderne sur l’amour, discours caractérisé par une
sérénité existentielle et la toute puissance humaine. Le poète illustre donc bien ici ce que
j’ai décrit plus haut comme la première réaction face aux sentiments au passage à la
modernité, ce que désigne Ferry comme « le tragique de l’amour moderne ».72
Dans la veine de l’attitude moderne face à l’absurdité et l’incontrôlable dans le
monde, Prévert fait état d’une sérénité existentielle exemplaire. Dans « Pater noster »,
par exemple, il reconnaît la part d’incompréhension et d’injustice que comportent la vie
et les événements qui s’y rencontrent, et ce sans angoisse ni panique ; il réaffirme même
son désir de vivre sur terre « Avec ses mystères de New York / et puis ses mystères de
Paris », et « Avec les épouvantables malheurs du monde / Qui sont légion »73, ou bien
encore « avec la bêtise de mourir ».74 Dans le texte « Le Mythe des sous-off », sorte de
parodie du mythe de Sisyphe, Prévert se moque d’ailleurs des hommes qui tentent de
lutter ou d’échapper à l’absurde et au contingent de la vie — comme c’est le cas de
Baudelaire. Le poème met en scène un groupe d’individus qui se font écraser par un
71 v.4;v.ll.
72 147.
73 Jacques Prévert, «Pater noster», Paroles, 1946, Œuvres complètes, ed. Danièle Gasiglia-Laster et
Arnaud Laster (Paris : Gallimard, 1992) 40, v.5-6 ; v.23-24.
74 Cité par Gasiglia-Laster et Laster, vol. 1 1032.