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si tout le monde, au final, s’en doutait déjà mais n’osait se l’avouer par peur de perdre
l’insouciance que permet la croyance d’une force guidant l’existence.
Le discours d’omnipotence divine est en fait la cible constante des moqueries
prévertiennes. A l’opposé de Baudelaire, le poète refuse l’idée d’un homme-pantin aux
prises avec une force supérieure. Dans « Le Divin mélodrame », par exemple, le poète se
moque de ce discours extrême en mettant en scène des admirateurs de Dieu prêts à tout
pour satisfaire leur idole. Ces spectateurs fanatiques s’exclament alors : « Ah nous
sommes bien les pantins dont il tire les ficelles ».79 Le texte « Branle-bas de combat »,
toujours tiré de Spectacle, dénonce une fois de plus cette démarche de pensée, dénonçant
!’irresponsabilité humaine qu’elle implique. Ce discours sur la passivité humaine dans
l’existence permet ici d’excuser le comportement violent, et donc inacceptable, d’un
amiral et de son fils envers leur maîtresse, portant l’enfant de l’un d’eux. Les deux
hommes en colère ayant tour à tour giflé la jeune femme, le vieux militaire se désole de
leur acte mais crie son impuissance : « Tel père tel fils, tel fils tel petit-fils, et ainsi de
suite, la vie continue... La vie est une immense farce et nous sommes les pantins dont
Dieu tire les ficelles !... »80
En fait le poète, persuadé de l’inexistence d’une quelconque figure divine,
concentre son ardeur critique sur l’institution de !’Eglise et la foi elle-même ; « [a]ussi,
ses blasphèmes ne s’adressent-ils pas à Dieu — auquel il ne croit pas — mais à l’idée de
Dieu chez les autres et aux rites qu’ils respectent », remarque Frank Wilhelm.81
79 Jacques Prévert, « Le Divin mélodrame », Spectacle 221.
80 Jacques Prévert, « Branle-bas de combat », Spectacle 275.
81 Frank Wilhelm, « La Poétique de Prévert et sa réception en Luxembourg », Jacques Prévert. « Frontières
effacées », eds. Carole Aurouet, Daniel Compère, Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster (Lausanne :
L’Age d’homme) 191.