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bêtises des serments ».92 Cependant, contrairement au meurtrier de Baudelaire qui veut
éradiquer la passion, l’amant de Prévert cherche un amour libéré de la souffrance
qu’engendrent les promesses d’une union étemelle.93 Le gardien de prison choisit en
effet d’accepter les caprices du sentiment pour que lui et sa compagne vivent leur relation
librement et sereinement. Il déclare à propos de sa maîtresse :
Je veux qu’elle soit libre
Et encore de m’aimer
Ou d’en aimer un autre
Si un autre lui plaît.94
C’est donc sur l’expression absolue du désir, de l’envie et du plaisir, hors de toute
promesse de sentiment éternel stable, que se basent la puissance et la valeur de l’amour
pour Prévert. Ce point de vue est bien irréconciliable avec celui de Baudelaire pour qui
cet abandon aux sens est inconcevable, ouvrant d’après lui à la perte de contrôle et au
néant. Dans cette optique, Prévert s’ancre ici pleinement dans le discours moderne
concernant l’amour : comme le décrit Ferry, le sentiment est désormais un moyen pour
l’homme d’élever la valeur de l’existence, et ce sans recours à une force extérieure.
Suivant une démarche de pensée moderne similaire à celle de Prévert, Césaire
perçoit l’humanité comme sereine, autonome et active dans l’existence. Dans sa
92 Jacques Prévert, « Chanson du geôlier », Paroles 121, v.10.
93 v.U-17.
94 v.12-18.