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fonction de la négritude chez Césaire, pour qui la revalorisation des cultures aliénées se
fait dans le but de revivifier et de restaurer la splendeur de !’Humanité ; ainsi le poète
déclare « ce que je veux / c’est pour la faim universelle / pour la soif universelle »."
Ce n’est pas seulement la conception d’un divin guide de l’humanité que critique
Césaire en tant que moderne ; il remet aussi en cause, et ce encore comme Prévert, la
valeur même de la doctrine catholique. En particulier, il pointe du doigt l’intolérance, la
malhonnêteté et l’inhumanité qui y sont associées. Le Dieu que rejette le poète, celui
qu’il assassine dans le Cahier d’un retour au pays natal100, est celui des missionnaires et
des colonisateurs chrétiens. Dans sa « Lettre ouverte à Monseigneur Varin de la
Brunelière » par exemple, Césaire accuse avec virulence le catholicisme d’avoir
cautionné l’esclavage pour en tirer profit. Il déclare : « [d]epuis longtemps, depuis
toujours, !’Eglise en a pris son parti, de la servitude humaine. Mieux, elle a compris
qu’elle avait besoin de la servitude humaine ; que la condition de son triomphe était la
servitude humaine ».101 Finalement, Césaire reproche à cette religion d’avoir pris part à
la situation de statu quo dans la domination psychologique, physique et sociale du peuple
noir, ayant aidé à perpétrer mais surtout à naturaliser dans l’esprit de l’esclave l’idée de
son infériorité intrinsèque. Il s’agit, dit Sartre au sujet de l’individu noir soumis, de « lui
faire partager la responsabilité d’un crime dont il est la victime ».102
99 Cahier 69.
100 55. Le poète affirme en effet ici son rejet des valeurs occidentales pour adhérer à la culture négro-
africaine, déclarant d’une manière provocatrice : « J’ai assassiné Dieu de ma paresse de / mes paroles de
mes gestes / de mes chansons obscènes ».
101 Aimé Césaire, « Lettre ouverte à Monseigneur Varin de la Brunelière », Tropiques 11 (1944) : 115.
102 « Orphée noir » xxxvii.