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pauvreté, en « [...] fu[yant] leur partie infâme » ou « l’horreur de leur berceau »112. Le
poème en prose intitulé bien à-propos « Any where out of the world — N’importe où
hors du monde » illustre aussi cette attirance vers un ailleurs consolateur. Ici le poète,
rongé par un mal permanent, reconnaît la détresse de sa vie comme insoluble et
permanente, et ce où qu’il soit dans le monde : « Il me semble que je serais toujours bien
là où je ne suis pas », déclare-t-il.113 De désespoir, son âme le supplie finalement de fuir
cette réalité insupportable : « N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce
monde ! », s’exclame-t-elle.114
Suivant ce discours, le poète suggère principalement à l’homme commun le
recours à l’ivresse ou à la mort pour échapper au malaise de la vie. Le vin représente par
exemple pour Baudelaire cet ailleurs meilleur réservé aux déshérités de la société. Ainsi
dit-il dans ses Paradis artificiels : « le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite
d’en boire »115 tandis qu’il est consommé par les chiffonniers et par « ces gens harcelés
de chagrins de ménage, / Moulus par le travail et tourmentés par l’âge, / Ereintés et pliant
sous un tas de débris » dans « Le Vin des chiffonniers ».116 Le poème « L’Âme du vin »
met bien en scène la boisson comme réponse à la misère « d’un homme usé par les
travaux ».117 L’alcool est en fait pour le poète une flamme d’espérance dans l’existence
morne des démunis et des marginaux ; « Le Vin des chiffonniers » fait état de « l’espoir
i12v.9jv.10.
113 Charles Baudelaire, « Any where out of the world — N’importe où hors du monde », Petits poèmes en
prose, 1869, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 1 (Paris : Gallimard, 1975) 356.
114 357.
115 Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels, 1861, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 2 (Paris :
Gallimard, 1975) 397.
116 Charles Baudelaire, « Le Vin des chiffonniers », Les Fleurs du mal 106, v.13-15.
117 Charles Baudelaire, « L’Ame du vin », Les Fleurs du mal 105, v.10.