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hélas ! et qui fait vivre ; / C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir ».123 Cet espace
autre est une lueur positive dans une existence morne : elle sera un espace accueillant et
réconfortant, une « auberge [...]/ où l’on pourra manger, et dormir, et s’asseoir ».124
Le dépassement de la condition humaine et sociale par l’ivresse et la mort
témoigne bien d’une attitude pré-moderne. D’une part, cette démarche se présente sous
la forme de fuites du monde par !’intermédiaire d’une force extérieure, alors que
l’homme reste impuissant face à sa condition : elle offre une élévation de l’âme humaine
dans un au-delà qui sauve et qui apaise de la situation existentielle problématique.
D’autre part, cette réponse s’inspire encore, bien que de manière plutôt blasphématoire,
du discours religieux en percevant l’ivresse et la mort comme des ailleurs rédempteurs et
positifs, ce qui rappelle le salut chrétien post-mortem. Plus particulièrement, le présent
discours sur l’ivresse éthylique est anti-chrétien dans la mesure où le poète présente cet
état comme un paradis artificiel — ses effets sont décrits dans l’essai du même nom — ;
cet état est donc présenté en compétition avec la réponse apportée par le discours
religieux sous la forme d’un espace paradisiaque. Le soulagement de l’ivresse est en
effet ce que Cassou-Yager définit «[...] comme une ‘contre-religion’, [qui] détourne
l’homme de Dieu, et entraîne sa dégradation et son anéantissement spirituel », c’est-à-
dire ici une perte de foi envers le pouvoir d’un divin salvateur.125
De forte inspiration chrétienne, la mort comme réponse au malaise social et
humain se démarque aussi du discours religieux par la nature de l’au-delà proposé : alors
que le poète décrit ce que L’Evangile, « le livre », prédit aux morts dans « La Mort des
123 Charles Baudelaire, « La Mort du pauvre », Les Fleurs du mal 126, v.1-3.
124 v.7-8.
125 23.