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pauvres »126, le monde autre mentionné dans ce texte, comme dans « Le Voyage »,
diffère du paradis puisqu’il reste mystérieux. C’est ici un espace différent et indéfini, « le
portique ouvert sur les Cieux inconnus »127, qui soulagera les misères de l’homme. Cette
idée d’un lieu post-mortem mystérieux se retrouve dans plusieurs poèmes comme dans
« Danse macabre » où la mort «[...] entraîne en des lieux qui ne sont pas connus ! »128
En d’autres termes, la mort évoquée par Baudelaire est un au-delà anti-chrétien dans le
sens où sa nature n’est pas connue et pourrait être donc, de surcroît, maléfique. En fait
pour le poète, « Enfer ou Ciel, qu’importe »129, à condition de quitter ce monde d’ennui,
conclut-il dans « Le Voyage ».
Malgré la réponse claire que semble adresser Baudelaire vis-à-vis de la misère
humaine et sociale, l’étude approfondie de ses écrits montre que le poète est constamment
en prise au doute concernant la possibilité d’un quelconque soulagement. D’une part,
l’évasion dans les paradis artificiels ne semble pas toujours décrite comme procurant à
l’homme un sentiment d’apaisement ou de joie. Dans l’essai du même nom, Baudelaire
nuance par exemple son adhésion à l’ivresse éthylique : « Le vin est semblable à
l’homme, déclare-t-il : on ne saura jamais jusqu’à quel point l’estimer et le mépriser,
l’aimer et le haïr, ni de combien d’actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est
capable ».130 «Le Vin de l’assassin », qui met en scène un alcoolique meurtrier de sa
femme, expose bien les méfaits potentiels de l’alcool. Ici le criminel, inconscient de son
126 v.7.
127 « La Mort des pauvres » v. 14.
128 Charles Baudelaire, « Danse macabre », Les Fleurs du mal 98, v.52.
129v.143.
130 Les Paradis artificiels 380.