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sauver l’humanité de son ennui en la plongeant « Au fond de l’inconnu pour trouver du
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nouveau ».
L’ultime recours à la mort pour répondre à une condition humaine et sociale
misérable restera néanmoins une réponse problématique pour Baudelaire. Tout d’abord,
même dans les textes, déjà rares, semblant illustrer le calme du poète face au décès peut-
on douter de la sincérité de l’auteur. Cassou-Yager relève par exemple « l’ambivalence
de l’étrange enthousiasme pour les cycles de la vie organique qui caractérise ‘Le Mort
joyeux’ ».141 Dans ce poème, le poète affirme ne pas vouloir laisser de trace de lui sur
terre mais souhaite plutôt « dormir dans l’oubli » et se donner entièrement à la nature :
« Je hais les testaments et je hais les tombeaux ; / Plutôt que d’implorer une larme du
monde, / Vivant, j’aimerai mieux inviter les corbeaux / A saigner tous les bouts de ma
carcasse immonde».142 Si Baudelaire semble chanter ici une sérénité post-mortem à
travers le don de son corps à la nature et au cycle de la vie, Cassou-Yager affirme :
il n’est pas dupe de sa supercherie. Le ‘lyrisme de la putréfaction’ [selon
l’expression de Jean-Pierre Richard tirée de Poésie et profondeur (1955)]
du ‘Mort joyeux’ ressemble fort à une parodie de tous ceux qui exaltent la
nature et l’étemelle métamorphose de ses formes, et cachent leur profond
désespoir derrière une fausse ‘joie de vivre’.143
Certes, il m’est difficile de statuer sur cette question mais, comme je l’ai montré plus
haut, Baudelaire répugne l’état naturel des hommes comme des choses, le considérant
142 « Le Mortjoyeux » v.4 ; v.5-8.
143 59.