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continuer sa vie malheureuse dans le monde réel, « et comme un grand écureuil ivre /
sans arrêt il tourne en rond ».'50
En ce qui concerne la mort, Prévert refuse catégoriquement d’inciter l’homme à
prendre cette voie. Tout d’abord, le décès est pour lui, et en opposition au discours
baudelairien, une étape de l’existence humaine ; il n’est par conséquent ni tragique ni
meilleur que la vie même. Le poète perçoit en effet ce passage de vie à trépas sans
grande émotion. Dans le poème « Fête », par exemple, il rend hommage aux étapes de sa
vie, avec ses parents qui l’ont fait naître puis qui sont morts ; il finit son texte par
annonce sereinement : « Et moi aussi un jour / comme eux je m’en irai ».'51 L’existence
humaine, qui se présente ici comme une fête, inclut tout naturellement le trépas, comme
si « Tous les soirs / la mort m’invite à dîner / et la vie me sert à boire / et la mort se
marre. »152 Si l’état mortel fusionne avec l’existence chez Prévert, c’est en particulier
parce que le poète croit en une transformation cyclique de la matière vers l’organique,
engendrant un éternel renouvellement de la vie. Ainsi décrivent Gasiglia-Laster et
Laster :
[Prévert] est persuadé que nous nous transformons, comme la matière et
comme toutes les espèces, et que le jardinier qui remue la terre, recueille
pourritures et déchets pour la faire fructifier, participe à ce renouvellement
de la vie par la mort. Si la mort ressemble tellement à la vie, c’est que ‘la
150 v.38-39.
151 Jacques Prévert, « Fêtes », Spectacle 432, v.13-14.
152 Jacques Prévert, Textes autobiographiques, Œuvres complètes, ed. Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud
Laster, vol. 2 (Paris : Gallimard, 1992) 954.