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vie est dans la mort / la mort aidant la vie’, comme le notera un jour le
poète.153
Prévert illustre cette idée de cycle de la vie dans un passage de son récit biographique
« Enfance ». Sur le ton ronsardien du Carpe Diem, il y décrit les événements habituels
qui se déroulent dans le parc où il se promenait enfant : « Un peu partout, les gens
mangeaient, buvaient, prenaient le café. Un ivrogne passait et hurlait : ‘Dépêchez-vous !
Mangez sur l’herbe, un jour ou l’autre, l’herbe mangera sur vous !’ »154 Cette soif de
vivre contraste radicalement avec le discours baudelairien qui ne voit dans l’existence
qu’un ensevelissement de l’homme dans !’Ennui, la perte de contrôle et l’insatisfaction.
De plus, lorsque Prévert évoque la mort par suicide — thème surtout abordé dans
ses œuvres cinématographiques —, c’est d’une manière descriptive et non prescriptive : il
s’agit d’en dévoiler la douleur et le caractère dramatique. En effet, ce geste est le plus
souvent perpétré par des individus issus des classes sociales les plus démunies155 et se
justifie par les difficultés qui rongent ces personnages : « Ces sujets sont fatigués, las,
usés. Ils n’ont plus la force de combattre, si bien qu’il suffit alors d’une situation
conflictuelle supplémentaire pour que se déclenche la conduite auto-destructive [...] »156
Dans le poème «Lorsqu’un vivant se tue... », par exemple, Prévert illustre cette idée
d’abandon à la mort par l’histoire d’un cheval de cirque qui, incapable de supporter plus
longtemps sa vie de servitude, se tourne vers le suicide : « [t]out petit, quand, à coups de
153 vol. 2 1085.
154 Jacques Prévert, «Enfance», 1972, Œuvres complètes, ed. Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster,
vol. 2 (Paris : Gallimard, 1992) 215.
155 Carole Aurouet, « ‘Lorsqu’un vivant se tue...’ Le suicide dans les scénarios de Jacques Pré vert »,
Jacques Prévert. « Frontières effacées », eds. Aurouet, Compère, Gasiglia-Laster et Laster 123.
156 Aurouet 124.