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inconnu / Ecorcher la terre revêche / Et pousser une lourde bêche / Sous notre pied
sanglant et nu ? ».148 Finalement, « Le Rêve d’un curieux » et « Le Squelette laboureur »
expriment la défiance qu’éprouve Baudelaire envers tout moyen permettant à l’humanité
d’accéder à une certaine sérénité et satisfaction : tout en souhaitant qu’un tel pouvoir
existe, le poète est forcé de constater l’absence de toute justification existentielle et
l’impuissance générale à dépasser les misères du monde.
Prévert, dont le caractère moderne le conduit à attribuer à l’homme une place
centrale dans le déroulement de l’existence, désapprouverait sans contexte les moyens
qu’évoque Baudelaire pour répondre au malaise humain et social. Le poète critique en
effet les discours encourageant l’homme à fuir la réalité au lieu de l’inciter à prendre une
part active dans l’existence afin de chercher à la rendre satisfaisante. Dans le poème
« L’Effort humain », Prévert dénonce par exemple le comportement du misérable
préférant le monde des illusions à la vie réelle : ainsi faisant, le démuni « se nourrit de
mauvais rêves / et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation ».149 Les termes
« rêves » et « vin », bien qu’utilisés dans un contexte différent, réfèrent à la même idée
d’échappatoire qu’offrent la mort et l’ivresse dans les poèmes baudelairiens. Alors que
les textes de Baudelaire explorent le trépas et les produits enivrants comme des solutions
potentielles à la souffrance prolétarienne, « L’Effort humain » considère explicitement
ces méthodes comme néfastes au bien-être du peuple puisqu’elles l’abrutissent. Aveuglé
par des jouissances artificielles et de faux espoirs d’au-delà, le miséreux se résigne à
148 v.28-32.
149 Jacques Prévert, « L’Effort humain », Paroles 64, v.36-37.