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Voyage’ va conférer un sens (rétroactif) à tout ce recueil ».135 Le texte débute par le récit
de la quête vaine entreprise par l’homme pour trouver un moyen de chasser son mal-être :
« Singulière fortune où le but se déplace, / Et n’étant nulle part, peut être n’importe
où ! », constate le poète.136 Même les valeurs matérielles et psychologiques qui semblent
primordiales dans la société contemporaine ne sont pas à même de satisfaire ni de
distraire l’homme ; le poète se désole : « ‘Amour... gloire... bonheur !’ Enfer, c’est un
écueil ! ».137 L’homme est tout aussi incapable de dépasser son malaise en ayant recours
aux produits enivrants comme le vin ou l’opium puisque «[...] le mirage rend le gouffre
plus amer »138 — ce que souligne déjà « Le Vin de l’assassin ». Sans toutefois jamais
abandonner complètement l’usage de ces artifices, Baudelaire réalise finalement que la
recherche d’apaisement et de stabilité à travers des moyens d’évasion et de distraction est
vaine ; la conclusion est implacable : « Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, / Hier,
demain, toujours, nous fait voir notre image : / Une oasis d’horreur dans un désert
d’ennui ! ».139 Après ce constat, le poète statue que l’au-delà post-mortem reste la seule
solution au mal-être de l’homme. C’est le message final des Fleurs du mal, exprimé dans
le titre même de la section qui clôt le recueil et dans les ultimes vers du dernier poème.
« Le Voyage » se termine en effet par une apostrophe à la mort, un appel au trépas pour
135 Claude Pichois, notices, notes et variantes, Œuvres complètes, par Baudelaire, vol. 1 (Paris : Gallimard,
1975) 1098.
136 v.29-30.
137 v.36.
138 v.44.
139 v.109-112.