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Comme Prévert, Césaire soutient un discours moderne qui se dresse contre
l’inconscience et la passivité humaines face à l’existence, encourageant tout un chacun à
vivre pleinement et activement. Le poète critique bien tout ce qui abrutit l’homme et lui
fait perdre le goût de se battre pour accéder à une existence meilleure. Il se dresse par
exemple contre la rhétorique colonialiste qui conduit le Martiniquais, et la population
noire en général, à s’habituer à sa soumission et à renier sa culture. Le poète dénonce en
effet le discours colonial qui abrutit le peuple noir en l’incitant à accepter sa condition
inférieure, prétendant que cet état est un fait, naturel et inéluctable :
la misère lui avait blessé poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre
cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il
n’avait pas puissance sur son propre destin ; qu’un Seigneur méchant avait
de toute éternité écrit des lois d’interdiction en sa nature pelvienne ; et
d’être le bon nègre ; de croire honnêtement à son indignité, sans curiosité
perverse de vérifier jamais les hiéroglyphes fatidiques.162
Dans son entretien avec Françoise Vergés, Césaire critique explicitement ce discours
désabusé et condamne l’attitude passive qui en découle. Il explique que, pour le bien de
son peuple, « sortir de la victimisation est fondamental. C’est une tâche peu aisée.
L’éducation que nous avons reçue et la conception du monde qui en résulte sont
responsables de notre irresponsabilité ».163
Conséquence de cette rhétorique fataliste et résignée explique Césaire, l’homme
noir tourne ses espoirs vers des états de fuite comme ceux que propose Baudelaire.
'62Cahier 74-75.
163 Cité par Françoise Vergés, Aimé Césaire. Nègre je suis, nègre je resterai. Entretiens (Paris : Albin
Michel, 2005) 40.