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que les premières revendications noires, comme celles d’une libération par la mort,
s’éteignent au profit d’une lutte active par un peuple désormais « debout et libre ».166
En outre, et de par ses affinités avec la culture négro-africaine, il me semble
évident que Césaire envisage de toute façon la mort comme partie intégrante de la vie
plutôt qu’espace autre. Senghor explique en effet que, dans la tradition négro-africaine,
les Ancêtres mêmes restent dans le domaine de l’existence en contribuant à
l’augmentation de la force vitale : « les Ancêtres, s’ils ne veulent pas être in-existants,
‘parfaitement morts’ — c’est une expression bantoue —, doivent se consacrer au
renforcement de la vie de l’existant, ce qui leur permettra d’y participer. »167 En
conséquence, la mort n’est pas tragique mais célébrée.168 L’influence négro-africaine
marquant constamment le discours de Césaire le rapprocherait ici de Prévert : tous deux
envisageraient le trépas non pas comme un espace séparé de l’existence mais comme un
état comportant une certaine vitalité. A ce propos, il est possible de tracer un parallèle
entre la conception des deux poètes concernant l’état post-mortem en reliant le texte
prévertien dans lequel la mort rit169 avec l’affirmation de Bataille selon laquelle « [s]euls
les arriérés s’amusent avec la mort » — les arriérés étant ici les peuples de culture non-
166 74 ; 76. Dans le poème « Beau sang giclé » tiré du recueil Ferrements, le poète remarque que le peuple
noir dépasse progressivement cette attitude de victime, ce « conte trop remué » aussi triste qu’un négro-
spiritual, et s’engage vers l’action et la révolte : « l’aube sur sa chaîne mord féroce à naître » prophétise-t-il
(Œuvres complètes, vol. 1 170).
167 « L’Esthétique négro-africaine » 204.
168 Senghor, « L’Esthétique négro-africaine » 206.
169 Prévert, Textes autobiographiques 954.