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monde, en face duquel il prétendait s’affirmer dans la solitude d’une
indépendance intraitable.183
Certes, il est indéniable que l’attitude baudelairienne envers la condition humaine et la
misère sociale se présente comme pré-moderne par sa tendance à considérer l’homme
comme passif et à l’inciter à fuir l’insatisfaction de l’existence. Cependant, à partir de la
définition de Foucault concernant la perception moderne centrée sur le présent et la
critique de l’actualité, de nombreux éléments caractérisant la démarche de Baudelaire
concourent en fait à penser que le poète représente, de bien des façons, la première
génération moderne. Dans « What is Enlightenment ? », Foucault atteste d’ailleurs de ce
fait en caractérisant Baudelaire comme « l’une des consciences les plus aiguës de la
modernité au XIXe siècle »184 ; le philosophe s’inspire même de l’essai de l’artiste
intitulé Le Peintre de la vie moderne pour étayer sa définition d’attitude et d’esthétique
modernes.
La démarche de Baudelaire peut se définir comme moderne d’abord dans la
mesure où le poète s’inspire d’une matière liée au présent et au quotidien dans le but de la
questionner et de la dépasser esthétiquement. Dans Le Peintre de la vie moderne
justement, Baudelaire argue que c’est la tâche même de l’artiste de son temps que « de
dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique ».185 Plus
particulièrement, le poète s’éloigne de la thématique bucolique traditionnelle dominant
l’âge classique et romantique pour une inspiration urbaine, s’enthousiasmant pour les
'83 La Part du feu 134.
184 568.
185 Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, 1863, Œuvres Complètes, ed. Claude Pichois, vol. 2
(Paris : Gallimard : 1975) 694.