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lui dévoile son étroite solidarité, par-delà les nuances de peau, avec certaines classes
d’Européens opprimés comme lui ».'8'
Le retour incessant qu’entreprend Baudelaire vers des préceptes de vie établis,
dynamique que j’ai étudiée précédemment, amène Sartre et Blanchot à conclure que le
poète vit dans la mauvaise foi et échoue son passage vers une attitude moderne. S’il a
bien conscience d’une condition humaine totalement livrée à elle-même, le poète est en
effet incapable, comme le feront ses successeurs Prévert et Césaire, de prendre pleine
responsabilité de son être et d’embrasser sa liberté d’action. Baudelaire continue en effet
sporadiquement à rechercher une stabilité existentielle dans l’adhésion aux normes
sociales et religieuses — ou bien d’ailleurs à leurs contraires — ; il est donc toujours
avide de cet amour, gloire et bonheur qu’il dénigre pourtant dans «Le Voyage».182
Blanchot résume sa position ainsi :
[II] a échoué devant lui-même, et son existence n’a pas été malheureuse,
parce qu’elle a connu le ridicule échec devant !’Académie, la tutelle de
personnages qu’il méprisait et la misère et l’indifférence et la stérilité,
mais bien davantage pour avoir désiré la gloire académique, tiré son
orgueil des faux éloges de Sainte-Beuve et recherché la protection du
181 « Orphée noir » xiii.
182 v.36.